L’inégalité d’accès aux droits en Guadeloupe : Le rapport édifiant du défenseur des droits

par annabelle croih
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Du 23 novembre au 3 décembre 2022, une délégation du Défenseur des Droits s’est déplacée en Guadeloupe et en Martinique. Le Défenseur des Droits a pour mission première de veiller à l’effectivité de l’égalité d’accès aux droits sur l’ensemble du territoire national pour les usagers du service public.

Composée de George Pau-Langevin, adjointe chargée de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité, de Daniel Agacinski, délégué général à la médiation, avec l’appui de Christelle Cardonnet, cheffe du pôle régional Antilles-Guyane et de Mariam Chadli, conseillère au secrétariat général, la délégation a mené plus de 50 entretiens avec des élus locaux, des professionnels et syndicaux, des représentants associatifs, etc…

Le rapport, Services publics aux Antilles : garantir l’accès aux droits, dont la rédaction a été coordonnée par Mariam Chadli, est le résultat de ces entretiens. Il est disponible ici : https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_rapport-antilles_20230317.pdf

Ce rapport propose une analyse approfondie de l’ensemble des grands secteurs liés au service public : le logement, l’accès à l’eau, la santé, l’éducation, etc. Le document permet de faire le point sur la situation locale, de mettre en lumière les inégalités persistantes et de proposer des pistes d’amélioration à travers un ensemble de recommandations.

Aujourd’hui, nous vous proposons un focus sur quelques-unes des données concernant la Guadeloupe, notamment sur le grand âge et le handicap.

La faiblesse des dispositifs de prise en charge de la santé mentale et des personnes en situation de handicap

Selon le rapport, l’inadaptation de la prise en charge des difficultés psychiques s’explique par le manque de professionnels dans le domaine médico-social et l’insuffisance du nombre de places en ITEP (instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogique) ainsi qu’en IME (instituts médico-éducatifs). Ce qui conduit les parents, qui le peuvent, à faire le choix du départ de leur enfant en situation de handicap, vers la Métropole. C’est le même constat pour les troubles du comportement, qui ne sont que rarement pris en charge.

De graves dysfonctionnements de la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) de Guadeloupe liés à des difficultés d’organisation et à la défaillance des systèmes d’information, depuis plusieurs années, ont des répercussions sur les délais de traitement des demandes. Ils sont préjudiciables aux usagers. L’accès à leur droit n’est plus garanti. Un plan de redressement, en cours, prévoit la mise en place d’une équipe dédiée pour résorber le stock des dossiers en souffrance et une refonte des outils de traitement informatique.

Cette absence de visibilité sur les besoins présents et à venir rend difficile l’adaptation de l’offre médico-sociale aux besoins du territoire.

Les personnes âgées

Le traitement des demandes

Selon le rapport la protection des personnes âgées a particulièrement été chaotique durant la crise de la Covid-19. Ce constat est préoccupant, lorsque l’on sait que la population Guadeloupéenne est vieillissante. Outre les situations de grande précarité dans lesquelles elles peuvent être placées du fait de difficultés à faire valoir leurs droits à la retraite, la question de leur prise en charge médico-sociale et de leur accompagnement constitue un sujet majeur pour le respect de leur dignité et de leur droit à la santé.

D’après ce même document, en Guadeloupe, de graves dysfonctionnements de la Caisse Générale de Sécurité Sociale ont généré des retards dans le traitement des demandes (pension de retraite, pension de réversion, allocation de solidarité aux personnes âgées), laissant sans ressources des demandeurs davantage exposés à une grande pauvreté. Des difficultés telles que l’accès aux services, les non réponses, l’absence de récépissés de dépôt des demandes, des demande multiples de justificatifs, …ont été recensées. Néanmoins, le Défenseur des Droits relève un redressement de la CGSS qui depuis 2020, a mis en place plusieurs dispositifs pour épurer le stock des dossiers en souffrance, améliorer les délais de traitement des nouvelles demandes et les relations avec les usagers.

L’amélioration de la situation passera par l’optimisation des moyens de communication et l’accompagnement humain dans la conduite des procédures dématérialisées pour l’exercice des droits sociaux.

Les difficultés de prise en charge

En Guadeloupe, comme dans les autres Départements d’Outre-Mer de manière générale, l’éclatement de la cellule familiale (fuite de la jeunesse, famille monoparentale) génère un isolement très grave des personnes âgées. Les inégalités d’accès aux droits sont renforcées avec l’arrivée de la dématérialisation qui conduit plus d’une personne sur sept, âgée de 65 et plus, à abandonner ses démarches.

Sur le plan de la santé, l’offre locale de maisons de retraite et d’EHPAD est faible (environ 20) avec un taux d’équipement en nombre de places de 68 pour 1000 personnes âgées de 75 ans et plus, les constructions étant vieillissantes voire délabrées. Des réticences culturelles font également obstacle au placement des personnes âgées et il existe aujourd’hui peu de solutions intermédiaires entre le maintien à domicile et le placement en EHPAD. Des réflexions sont engagées sur des projets d’ «EHPAD hors les murs» en s’appuyant sur des services à domicile, notamment dans le secteur paramédical, assez bien développé sur le territoire antillais.

La scolarisation des élèves en situation de handicap

L’accès à la scolarité d’enfants en situation de handicap demeure toujours une préoccupation majeure (20 % des saisines adressées à l’institution dans le domaine de la défense des droits de l’enfant).

La Guadeloupe comme la Martinique, disposent de bonnes dotations en nombre d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) mais c’est la précarité du statut de ces agents contractuels de l’État qui représente un frein. D’autres difficultés à l’identification des situations de handicap et à l’évaluation des besoins des enfants ont été identifiées : les insuffisances du secteur médico-social, les moyens limités des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH), les notifications des MDPH pouvant intervenir en cours d’année scolaire (en décalage au regard des ressources déjà allouées).

Les recommandations s’articulent autour de la formation des acteurs et de l’inscription au budget d’une enveloppe prévisionnelle prenant en compte les notifications arrivant en cours d’année scolaire.

Le logement en Guadeloupe : Habiter et vivre dans des conditions décentes

Il émane du rapport que 30 000 logements sont indignes et/ou informels et au moins 170 000 seraient sur-occupés. Pour la délégation, c’est la faiblesse de l’offre de logement très sociaux sur le territoire qui conduit la population des deux îles à des situations précaires.

La distribution de l’eau et de l’assainissement : un droit fondamental

En Guadeloupe, la situation est très préoccupante et questionne l’égalité d’accès à ce droit. L’impact des difficultés de distribution d’eau est particulièrement sensible sur le fonctionnement des services publics, notamment les secteurs de l’éducation et de la santé. Actuellement, la population pare à l’urgence avec l’installation de citernes ou bien l’achat d’eau potable en bouteille.

Depuis le 1er septembre 2021, le Syndicat Mixte de Gestion de l’Eau et de l’Assainissement de Guadeloupe, SMGEAG est en place, afin de rétablir une gouvernance globale, associant les usagers au fonctionnement du service.

Le coût plus élevé de l’eau en Guadeloupe, les difficultés d’accès, ainsi que l’eau impropre à la consommation, entrainent des impayés à hauteur de 25% (parfois 50% en fonction des communes).

La qualité de l’eau est régulièrement contrôlée par l’ARS, beaucoup plus qu’en métropole. Cependant, le délai entre la réalisation des prélèvements et l’annonce des résultats peut être plus ou moins long (parfois les prélèvements partent par avion pour la métropole). Néanmoins, l’ARS rappelle que les résultats sont disponibles en temps réel, via le site du ministère de la santé et que les communes ont l’obligation d’afficher ces données.

Le droit de vivre dans un environnement sain

La collecte des ordures ménagères

Le droit à la salubrité publique est garanti par le service public de collecte et d’élimination des ordures ménagères. Pourtant, de nombreux dysfonctionnements ont été remontés au Défenseur du Droit durant les entretiens. La réalisation des collectes et la mise en place du tri des déchets sont inégalement réparties sur le territoire Guadeloupéen.

Les Sargasses

Cela fait maintenant 10 ans que les sargasses sont arrivées sur les côtes Guadeloupéennes. Ces algues, dégageant des émanations de gaz – de l’hydrogène sulfuré et de l’ammoniac – et provoquant notamment la dégradation par corrosion des appareils électroménagers, entraînent des atteintes au droit de vivre dans un environnement sain et affectent le fonctionnement de nombreux services publics en plus de leur impact sur l’activité économique locale.

Les odeurs nauséabondes entrainent les fermetures des écoles générant ainsi une autre inégalité dans le secteur de l’éducation. En lien avec le plan national de lutte contre les sargasses 2022-2025, un groupement d’intérêt public a été créé fin 2022 en Guadeloupe. Celui-ci doit aider à mieux coordonner les opérations de ramassage, de stockage et de prévention. N’étant pas reconnues comme catastrophe naturelle, les habitants victimes des nuisances liées aux sargasses considèrent qu’il s’agit d’une grande injustice.

Sur le champ de la santé en lien avec l’obligation vaccinale, le Défenseur propose la poursuite du dialogue et l’amélioration de la communication en santé publique pour mieux l’adapter aux enjeux locaux.

Pour découvrir l’ensemble des thématiques abordées dans le rapport, vous pouvez le consulter via le lien précité au début de notre article, ou bien au service documentation du CR-OIH.

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